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La lourdeur du style: « La grâce des brigands » de Véronique Ovaldé

Il y a quelques mois, je suis tombé sur une émission de France Inter animée par l’inculte Colombe Schneck à propos de Roberto Bolaño. Véronique Ovaldé était invitée en tant qu’amatrice de l’auteur chilien. Je n’avais à l’époque jamais lu Véronique Ovaldé, et j’imaginais alors qu’elle était simplement influencée par ce grand auteur. La grâce des brigands, le dernier roman en date de Véronique Ovaldé, montre dans quelle mesure l’auteur français n’est pas seulement influencé par Bolaño, mais qu’elle imite son style en réussissant à le vider de tout contenu.

« On peut tout dire, on peut tout raconter, il n’y a pas de limites  » chez Bolaño, s’extasiait Ovaldé lors de l’émission de France Inter. C’est ici, pour moi, qu’Ovaldé se trompe. Bolaño a en effet une palette de sujets incroyables, et ses romans sont (dé)construits avec nombre digressions (car il est sous bien des aspects un représentant du postmodernisme), mais chaque digression apporte un éclairage, a une signification interne au texte. Si je devais inventer un terme de critique littéraire, je puiserais dans la linguistique et je dirais que ses digressions sont des pointages endophoriques. Ovaldé reprend la technique à son compte, mais perd le sens. Elle imite les longs catalogues de pensées des personnages de Bolaño, mais là où chez l’auteur chilien on touche au vertige, on verse chez l’auteur français dans l’ennui.

La mère de Maria Cristina aurait pu dire, si elle l’avait rencontré, ce qui est une chose absolument impossible, quel que soit l’espace-temps où l’on se place, mais en imaginant qu’elle se soit retrouvée face à un homme de ce calibre par on ne sait quelle fortuité, elle aurait sans doute dit, Tu parles d’une armoire à glace.

La grâce des brigands, p.23

« Tu parles d’une armoire à glace »? Tout ça, pour ça? Comparons avec un extrait de Bolaño, choisis au hasard mais représentatif du vertige mentionné au-dessus. Il s’agit du passage précédant le meurtre des sœurs Garmendia par Alberto Ruiz-Tagle, le « nouvel artiste chilien » d’Étoile distante:

Évidemment, lui ne lit rien, il s’en excuse, il dit qu’après de tels poèmes les siens sont de trop, la tante insiste, s’il vous plaît, Alberto, lisez-nous quelque chose de vous, mais il demeure inébranlable, il dit qu’il est sur le point de conclure quelque chose de nouveau, et qu’il préfère ne rien en dévoiler jusqu’à ce qu’il ait fini et corrigé le tout, il sourit, hausse les épaules, dit: non, non, non, et les sœurs Garmienda le soutiennent, tante, ne l’ennuie pas, elles croient comprendre, pauvres naïves, elles ne comprennent rien (« la nouvelle poésie chilienne » est sur le point de naître), mais elles croient comprendre et lisent leurs poèmes, leurs magnifiques poèmes, devant Ruiz-Tagle qui a l’air enchanté (et qui, certainement, ferme les yeux pour mieux écouter), subissant, de temps à autre, les commentaires insipides de leur tante, Angélica, mon enfant, comment peux-tu écrire de telles choses, ou Veronica, mon enfant, je n’ai rien compris, Alberto, voudriez-vous m’expliquer ce que signifie cette métaphore? et Ruiz-Tagle, empressé, parlant de signe et de signifiant, de Joyce Mansour, Sylvia Plaht, Aljandra Pizarnik (bien que les sœurs Garmendia disent non, nous n’aimons pas Pizarnik, et voulant dire, en fait, qu’elles n’écrivent pas comme Pizarnik), et Ruiz-Tagle parle déjà, et la tante écoute et acquiesce, de Violeta et Nicanor Parra (j’ai connu Violeta, sous son chapiteau, oui, dit la pauvre Emma Oyarzun), et puis il parle de Enrique Lihn et de la poésie civile et si les sœurs Garmendia avaient été plus attentives elles auraient remarqué une lueur ironique dans les yeux de Ruiz-Tagle, poésie civile, je vais vous en donner, moi, de la poésie civile, et enfin, définitivement lancé, il parle de Jorge Caceres, le surréaliste chilien mort en 1949 à vingt-six ans.

Étoile distante, ed. Bourgois Titres, pp.33, 34

De manière générale, Bolaño a une palette et un champ d’exploration plus grands, plus larges, plus profonds que ceux d’Ovaldé. Là où la conclusion d’Ovaldé est pauvre, Bolaño ouvre les champs du possible sémantique et littéraire.

Que dire également du bien infécond recyclage du personnage d’Archimboldi de 2666 dans le personnage de Peeleete? Tout y est, l’enfant étrange, l’obsession (avec le monde aquatique chez Archimboldi, les nombres chez Peeleete (?)), le thème du sauveur qui doit venir (le « géant » de 2666, et la « vilaine tante » (sic) d’Ovaldé, cf. p.283). Le tout est légèrement gênant dans l’évident manque d’inspiration de l’auteur français.

La grâce des brigands est un livre qui se lit vite, très vite, mais on est souvent gêné par les images trop facilement fantaisistes de l’auteur, comme si Véronique Ovaldé s’injectait du Prévert en intraveineuse avant d’écrire (ceci n’est pas un compliment), ou par des listes, faut-il l’avouer, assez inutiles. Le personnage de la mère folle aurait mérité une caractérisation moins caricaturale, et de manière globale il faudrait qu’Ovaldé lâche la narration indirecte et mette en scène ses personnages.

Après tout, elle veut écrire des romans.

gracebrig

Véronique Ovaldé, La grâce des brigands, Editions de l’Olivier, 19 euros 50

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