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Satire chronique: La troisième chronique du règne de Nicolas 1er, de Patrick Rambaud

janvier 14, 2010 Laisser un commentaire

Rambaud nous aura habitué à mieux. Bien mieux – La troisième chronique du règne de Nicolas 1er est, comme son nom l’indique, le troisième volume de cette longue satire anti-sarkoziste (antinicoliste, dirait l’auteur) narre les évènements politiques vécus en France ces derniers mois: le fichier Edwige, la Crise, l’élection d’Obama, etc. etc., le tout raconté comme dans les deux premières chroniques dans le style de Saint-Simon ou du cardinal de Retz parlant de Louis XIV. Rambaud suit ici l’illustre exemple d’André Ribaud et de sa chronique « La Cour », qui racontait de la même façon le « règne » du « roi » Charles de Gaulle…

La nouveauté intrigue et passionne; la répétition, elle, endort et ennuie. Si les deux premiers tomes des chroniques étaient raffraîchissants, on peut arguer du fait que ce tome-ci manque le mordant des deux premiers, tout d’abord parce qu’on connaît la technique de l’auteur (nous raconter des évènements de l’actualité en les travestissant  de costumes du XVIème siècle, parodier les noms des différents ministres (la baronne d’Ati, le comte d’Orsay – je vous laisse deviner, le chevalier Guaino, le chevalier Dray), donner de toujours aussi hilarants surnoms à ce Nicolas 1er si détesté: « Notre Gigotant Monarque », « Notre Bondissant Leader », « Notre Chatoyant Souverain », etc.) et parce qu’on sent que l’auteur lui-même se lasse de l’exercice qu’il s’est lui-même infligé: écrire une chronique par année de « règne ». Et si Sarkozy est réélu en 2012, y a-t-il pensé, Rambaud? Il n’en a pas fini avant longtemps!

Enfin, on a quand même aimé quelques fulgurances dans le livre, notamment le théorème de Picabia (p.58), assez hilarant, le portrait du Chevalier Guaino en imbécile complet, qui pioche toutes ses références dans les albums de Tintin qu’il promène avec lui partout,  le portrait du Chevalier Le Febvre, qui vaut son pesant de cacahouètes, et bien évidemment – et avant toutes autres choses – le style de l’auteur, tout en grâce, finesse et acidité.

Exemple (p.14):

« Le Prince était à table avec des ministres et des élus quand le maître d’hôtel lui demanda:

– Que voudra Sa Majesté pour le déjeuner?

– Un steak.

– Et pour les légumes, Sire?

Le Prince passa lentement les yeux sur toute la compagnie:

– Des steaks aussi. »

Les inconditionnels de Rambaud se seront déjà jetés sur ce volume, pour les autres je conseillerais de lire tout d’abord les deux premiers tomes. Celui-ci n’est pas essentiel – surtout qu’il y en aura d’autres…

La troisième chronique du règne de Nicolas 1er, Patrick Rambaud, Grasset, 14 euros.

Michel Onfray, ou la suspension de la pensée

décembre 5, 2009 1 commentaire

Voici un article écrit par un ami à moi sur Michel Onfray, philosophe médiatique dont vous avez peut-être (ironie, ironie quand tu nous tiens) entendu parler. L’adresse du blog original se trouve après l’article, et j’invite tous les lecteurs de ce blog à y faire un tour (et même deux).

Jonathan

PS. Mon titre d’article est volontairement polémique, pas besoin de pousser des cris d’Onfray.

« Michel Onfray et la suspension

Au fur et à mesure que je le fréquente à la lecture de ses livres, Michel Onfray est un personnage (non pas une personne dont je ne saurais juger: on ne perçoit la personne qu’à travers son masque d’auteur, bien que le clivage narrateur/auteur tende beaucoup à s’estomper chez lui) qui m’est de plus en plus sympathique. Déjà, en voyant son parcours qu’on peut, pour le moins, qualifier de courageux: démissionner d’un poste de prof de philo pour fonder une université libre (celle de Caen, en l’occurrence) ne doit pas être une décision facile à prendre, et marque un certain courage: il faut être sûr de son coup pour faire un truc pareil. Respect.

Ensuite en le lisant. J’avoue 1/ne pas avoir tout lu, et 2/ne pas avoir toujours terminé les livres que j’ai commencés (le traité d’athéologie, notamment, m’est tombé des mains). Mais son écriture est toujours d’une grande clarté, oscillant entre désir d’être compris du vulgus pecum (expression qu’il doit détester, je pense) et érudition très précise. Manifestement, Onfray a lu, beaucoup lu et beaucoup réfléchi à ce qu’il lisait, de manière on ne peut plus personnelle.
Se dégage de ses livres (ceux que j’ai lus, pour le moins) une sensibilité à fleur de peau, une capacité à intégrer dans sa pensée des éléments qui a priori ne font pas l’objet d’une conceptualisation, à concilier le paysan et le philosophe afin d’embrasser dans sa philosophie une sorte de totalité réconciliant corps et âme. Son petit bouquin sur le Sauternes, par exemple, est éloquent à cet égard, on y sent une grande influence de Bachelard, on croirait presque lire le sixième volume de la suite de livres que l’épistémologue avait consacrés aux éléments, sans néanmoins la plume géniale de son illustre prédécesseur. Ne fait pas du Bachelard qui veut. Se dégage parfois également, et c’est cela qui me le rend encore plus sympathique, une certaine mauvaise foi, en particulier dans ses écrits philosophiques. Toute pensée globalisante, systématisante si j’ose dire, passe nécessairement par une sorte de réduction, d’assimilation des faits, des textes et des images. Et cela est systématique chez lui, au point parfois de ne pas le sentir toujours très à l’aise dans son propos. Non. Ou plutôt d’une certitude tellement inébranlable dans sa philosophie du corps, à tel point que c’est le lecteur qui a tendance à décrocher et à vouloir se sortir de ce discours si univoque, lequel est si convaincu, si ferme qu’il nous met parfois mal à l’aise.


Et encore, ce n’est pas tout à fait ça. La pensée de Michel Onfray, et c’est pour cela que le terme de « mauvaise foi » me venait, est redoutablement incisive avec tous ceux qui ne sont pas d’accord avec Michel Onfray. Voilà c’est ça. Ce spécialiste de Nietzsche manie le discours avec une telle virtuosité (Sarkozy en avait d’ailleurs fait les frais: bien joué Michel) qu’il devient, pour ainsi dire, difficile de discuter avec lui intellectuellement, il propose une pensée sans faille, sans porte de sortie en quelque sorte. Et cela est tellement récurrent qu’on n’en a même plus envie de laisser tomber, on se laisse prendre dans une sorte de second degré car, après tout, ses arguments, même s’ils ont parfois un petit goût de déjà lu, sont quand même bien structurés, argumentés, révélateurs d’une pensée en continuel mouvement. Et c’est cela qui me plaît le plus chez Onfray: sa capacité à faire partager le mouvement de sa pensée. De sa pensée et de ses goûts, comme en témoigne l’ouverture de son université du goût ou l’étendue des domaines sur lesquels il écrit et dont il parle.

Une pensée en suspension, finalement. Le mot m’est venu en lisant son deuxième volume de sa contre-histoire de la philosophie, dont Onfray a eu le bon goût de la faire paraître en livre de poche, contrairement à d’autres bouquins que je n’achèterai qu’une fois qu’ils seront sortis dans des collections de ce genre (le Mille Plateaux de Deleuze et Guattari, par exemple). Onfray a un tic d’écriture qui m’insupporte, qui m’a toujours insupporté en littérature: les points de suspension. Ils me paraissent d’autant plus condamnables en philosophie que ce domaine de la pensée doit laisser le moins possible de zones d’ombre, de sous-entendus, de choses non-dites et que le lecteur doit deviner. Et pourtant ils sont systématiques, on en trouve au moins à deux reprises à chaque page. Ca fait un petit effet « je n’en dis pas plus, vous avez tout compris, c’est édifiant, même pas la peine que je précise », et ça, surtout chez un philosophe -je me répète-, ça m’agace terriblement. Prenons une page, vraiment, au hasard: « Epicure fournit un arsenal capable de mettre à mal le christianisme au pouvoir en offrant une métaphysique, une éthique, une sagesse, une politique de rechange. Péché mortel pour des philosophes… », ou encore « Jean enseigne que naître de Dieu empêche d’être souillé par le péché car en chacun reste toujours la trace de la divinité ? Le Libre-Esprit conclut que la grâce subsistent et que les actes comptent pour rien, jamais… » Dieu que ça m’agace. Procédé rhétorique, je veux bien, pratique aussi car il évite des digressions qui augmenteraient le volume du livre d’un bon tiers. Mais il reste que c’est prodigieusement agaçant car on s’en lasse. Les points de suspension d’Onfray n’ont pas la violence de ceux de Céline, de sorte qu’on en a assez vite marre. Ce tic, enfin, est récurrent dans ses textes historiques et philosophiques, on ne le trouve quasiment plus dans des textes plus personnels, comme celui cité plus haut ou le très beau petit livre Le Corps de mon Père, lu sur les conseils d’une aficionada et que je vais probablement faire lire à mes troisièmes. Ecrire démocratiquement. Une qualité qui rend tous les auteurs sympathiques, celui-ci d’autant plus, malgré les remarques que j’ai faites. »

Source: http://arnheim.canalblog.com/archives/2009/12/03/16015726.html