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Hors-saison: La mauvaise surprise de Tristan Ranx.

septembre 14, 2009 Laisser un commentaire

Quel dommage. On ne pourra pas me reprocher d’avoir attendu avec impatience ce livre, mais lorsque je l’ai lu j’ai été très déçu… Déçu de quoi? Hé bien, déçu que l’auteur ait tout simplement gâché son sujet. Le sujet du livre était parfait. Propre à un roman épique et flamboyant. D’ailleurs, je suis persuadé que c’est exactement ce que Ranx avait en tête. Mais il sabote lui-même tout son bouquin. Comment?

Tout d’abord, la première critique que je ferais serait de reprocher à La cinquième saison du monde de ne pas être assez épique. C’est un roman qui manque de romanesque. Oui, étant lecteur et passionné de l’histoire de Fiume (je l’ai déjà écrit ici et là), je voulais lire la prise de Fiume par D’annunzio, je voulais sentir le sang et la glaize, entendre les fusils et entrer dans la ville assiégée dans le cortège royal du Poète, comme l’appelle Ranx.

L’action du livre, pour être plus général, est trop rapide. Il aurait fallu laisser le temps au livre de se lancer, dans la douceur, présenter les personnages un par un, en développant leur caractère propre. Tous les personnages sont extrêmement intéressants et riches, mais au niveau de ce que l’on appelle en critique anglaise characterization, tout est trop rapide. On aurait aimé que Guido Keller, par exemple, entre dans l’action de manière plus souple, et que l’on apprenne à le connaître pendant quelques chapitres, en compagnie du narrateur Cellini. Pour le dire simplement, j’ai l’impression que tous les personnages sont des personnages plats*, qu’ils n’ont pas été développés comme ils auraient dû l’être, ou comme ils l’auraient mérité.

La narration en elle-même est, selon un choix de l’auteur, brisée, telle un kaléidoscope, qui ferait un aller-retour permanent entre 1919 et 1937-9. Pourquoi pas. C’est une très bonne idée. Le problème vient du fait que trop d’épisodes ne sont tout bonnement pas racontés; l’ellipse, si elle est parfois d’utilité, est ici sur-utilisée et nuit à la continuité du récit: trop de décrochage diégétique tue le récit. On aurait préféré que l’on s’attarde un peu plus sur les détails, et que l’on fasse entrer le lecteur dans l’histoire plutôt que de tout simplement lui balancer les différentes étapes du récit dans la tête. On ne comprend pas toujours le choix de coupures entre les paragraphes, sauf celui de créer un effet d’emphase sur le paragraphe décroché du reste du texte, mais en multipliant les coupures, on perd l’effet… pour en gagner un autre, celui d’une sensation de délayage. Gageons tout de suite que ce n’était pas dans l’intention de l’auteur de créer ce dernier effet…

A vrai dire, le gros défaut de ce livre est apparemment le manque de contrôle éditorial. Après tout, Ranx a gagné le Prix du Manuscrit Technikart, et effectivement, n’importe qui accorderait à un manuscrit comme celui-ci un prix voire un contrat d’édition. Y a-t-il eu un véritable travail d’édition et de travail sur le texte à la suite de ce contrat chez Max Milo? Aucune idée. Sûrement, oui. Etait-il suffisant? Probablement pas. Est-ce dommageable? Sans aucun doute.  Les critiques que j’émets sont après tout extrêmement basiques, et n’importe quel éditeur serait à même de faire les mêmes, et surtout de pouvoir pallier à ces failles que je ne fais que pointer du doigt.

Je me rends compte que je suis très critique. La cinquième… a également nombre de qualités, et la moindre de ces qualités n’est pas le style de l’auteur, qui signe quelques morceaux de bravoure littéraire à faire rougir n’importe quel littérateur people d’aujourd’hui. La construction du livre, tout en abyme(s), est un véritable coup de génie, et le tout, cette chose littéraire qu’est le premier roman de Tristan Ranx, exude un parfum de nouveauté et de grâce. Et c’est justement parce que c’est un premier roman, déjà primé (Prix Technikart), et que nous savons (espérons) qu’il y en aura d’autres, que nous invitons nos lecteurs à lire ce livre, et l’auteur, s’il nous lit, à faire un léger effort, dont il sera récompensé au centuple, celui d’écrire un prochain roman plus romanesque.

La cinquième saison du monde, Tristan Ranx, Ed. Max Milo, 320p., 19,90 euros.La cinquième saison du monde, Tristan Ranx, Ed. Max Milo, 320p., 19,90 euros.

Je fonde mes critiques sur un rapprochement que j’ai opéré dès que j’ai ouvert et lu les premières pages de La cinquième…, un rapprochement entre Ranx et un auteur britannique que j’aime beaucoup, Michael Moorock. Les deux ont en commun ce goût pour les ambiances d’apocalypses joyeuses (sauf que Moorcock a quarante ans d’avance). L’anglais a déjà donné dans le roman historique décadant avec sa quadrilogie Between The Wars (aussi surnommée The Pyat Quartet), dans laquelle il trace le portrait d’un vingtième siècle pourrissant via le personnage ambigu du Colonel Pyat, juif antisémite, génie auto-proclamé, menteur accompli, et aventurier d’exception. Je conseillerais à tous ceux qu’un roman d’aventures intelligent et subversif intéressent de se procurer le plus vite possible Byzantium Endures, le premier volume des aventures du Colonel Pyat, en anglais pour les courageux (l’édition française, Byzance 1917, n’étant plus disponible).

Byzantium Endures, Michael Moorcok, Vintage, 6£80Byzantium Endures, Michael Moorcok, Vintage, 6£80

*En suivant la typologie de Forster entre personnages ronds et personnages plats.

[Post Express] La cinquième saison du monde de Tristan Ranx

août 18, 2009 Laisser un commentaire

Un des romans les plus attendus de l’année, La cinquième saison du monde de Tristan Ranx, sortira le 27 août aux éditions Max Milo (320 pages, 19,90 euros). On vous dira ce qu’on en aura pensé, bientôt.

Une saison en enfer: Tristan Ranx et le livre maudit

avril 13, 2009 2 commentaires

Il paraîtrait qu’il serait le nouveau Little. Je ne l’espère pas pour lui; en tout cas, le site Fluctuat.net n’est pas avare de compliments en ce qui concerne Tristan Ranx et son premier roman inédité (inéditable?), La cinquième saison du monde. Il nous offre même quelques extraits du livre à venir.

Tristan Ranx (à droite)Tristan Ranx (à droite)

Je n’espère pas que Ranx soit le « nouveau » Little parce que UN Little ça suffit déjà (encore qu’avec le père, on en soit déjà à deux!), et deuxièmement parce qu’il serait bien plus intéressant que Ranx se fasse connaître pour lui-même et sa propre originalité. Car original, il l’est. Et son roman se penche sur un épisode de la Première Guerre Mondiale qui m’a toujours passionné: le siège et la création de l’Etat Libre de Fiume par Gabriele D’Annunzio, le poète et militaire italien.

Le 12 septembre 1919, D’Annunzio pénètre dans Fiume à la tête d’une troupe de soldats anarcho-fascistes et créé la ville-Etat de Fiume. Ils seront renversés un an plus tard, mais entre temps, D’Annunzio aura tenu tête à l’Europe. Ranx analyse cette période d’apocalypse et de griserie folle en suivant l’évolution d’un personnage fictif, Enzo Cellini, qui fera partie de l’épopée de D’Annunzio.

Ce livre aurait dû être publié il y a plus d’un an – il aurait d’ailleurs suscité l’enthousiasme des critiques et des éditeurs qui ont eu la chance de lire le manuscrit. Il n’a pas été publié à cause de soupçons planant sur la visée idéologique du livre; Baptiste Liger, du magazine Lire, témoigne:  » Il y a eu de longues et houleuses discussions. Une partie du comité de lecture [du Seuil] était très favorable mais quelques membres ont eu une réaction épidermique, d’ordre idéologique. Ils ont trouvé que le roman ne prenait pas assez de distances par rapport au mouvement futuriste, une école de pensée qui a selon eux mené au fascisme.  » Sa vautrer dans l’ignominie comme l’a fait Little dans ses Bienveillantes ne choque personne chez Gallimard, par contre. On se demande bien comment ces gens lisent les manuscrits qu’ils reçoivent… (d’autres arrivent véritablement à percer la valeur littéraire d’un texte, et pour une fois, ce sont les anglo-saxons qui nous donnent une vraie leçon de critique littéraire).

Ranx aurait enfin signé chez Max Milo. On attendra donc avec impatience la sortie de La cinquième saison du monde, mais en attendant je conseillerais aux anglophones de se procurer The Book of Virgins de Gabriele D’Annunzio, petit chef-d’oeuvre de fragilité et de cruauté.

Gabriele DAnnunzio, The Book of VirginsGabriele D’Annunzio, The Book of Virgins