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Posts Tagged ‘le tunnel’

Hommage à Ernesto Sabato.

Ernesto Sabato était un écrivain.

Un scientifique.

Un mystagogue.

Un révélateur.

Un plongeur en apnée.

Un Argentin.

Un Français de coeur.

Un humaniste.

Un découvreur.

Un expérimentateur.

Quelqu’un qui marchait dans les ténèbres, à la recherche de la lumière.

Un des deux géants de la littérature argentine.

Un aveugle.

Un voyant.

Un dialecticien.

Quelqu’un qui connaît les dangers de l’absolu.

Un critique.

Un philosophe.

Un mari et un père.

Un homme

Né un soir de Sabat.

Ernesto Sabato était un écrivain.

Sabato

Les livres qui m’ont marqué (1): Le tunnel d’Ernesto Sàbato

novembre 14, 2009 3 commentaires

Premier livre de la trilogie romanesque d’Ernesto Sabato, Le tunnel est l’histoire d’une obsession meurtrière du peintre Juan Pablo Castel pour Maria Iribarne, femme dont il tombe éperdument amoureux lors d’une exposition de ses toiles. On sait dès la première page que Castel tuera Maria Iribarne, mais nous ne savons pas pour quelle raison. Le meurtrier fait le récit des évènements qui l’ont conduit à assassiner la femme qu’il aimait (et la seule personne qui comprenait ses toiles, selon lui) de façon ‘objective’: le lecteur se rend vite compte que Castel et son récit sont tout ce qu’il y a de plus subjectifs; le récit commence en effet par une prétérition: « Il suffira de dire que je suis Juan Pablo Castel, le peintre qui a tué Maria Iribarne; je suppose que le procès est resté dans toutes les mémoires et qu’il n’est pas nécessaire d’en dire plus sur ma personne. » Tout le reste du roman se concentrera à décrire la personnalité tortueuse et paranoïaque de Castel.

Il est intéressant de voir que Castel est attiré par Maria parce qu’elle voit un détail dans une de ses toiles que personne d’autre n’a vu, et qui lui l’obsède, car il ignore pourquoi il l’a peint. Pensant que tous les deux partagent quelque chose de commun, qu’il avaient ‘vécu dans des galeries ou des tunnels parallèles’ (p.134), qu’ils étaient ‘des âmes semblables suivant un rythme semblable’ (p.134), il cherche à la retrouver pour qu’elle s’unisse à lui, corps et âme: Castel est en effet avide d’absolu, d’une relation absolue entre lui et Maria. Il ne supporte pas qu’elle le quitte, ou tout simplement qu’elle rentre chez elle. Lorsqu’il s’aperçoit qu’elle est mariée à Allende, un vieil aveugle, commence la première désillusion, et le début de sa paranoïa maladive qui le conduira à assassiner la femme qu’il aime. Mais l’aime t-il vraiment? Dans le fond, Castel ne s’est intéressé à Maria que parce qu’elle s’intéressait à ses toiles, donc à lui-même, et qu’elle pouvait lui accorder une réponse au détail de sa peinture qu’il ne comprenait pas. Nous nous rendons également compte que Maria n’a été fasciné par la toile que parce qu’elle retrouvait dans le détail en question (une jeune femme qui regarde la mer par une fenêtre) qu’un reflet de sa propre vie (p.106).

Ainsi, et paradoxalement, ces deux être qui pensaient s’unir parce qu’ils se reflétaient chacun l’un en l’autre (Castel cherche la réponse de sa peinture chez Maria qui semble avoir la réponse; Maria qui croit trouver un écho de sa vie dans l’oeuvre de Castel), en réalité ne pensent chacun qu’à eux-mêmes. Le tunnel est le roman de l’incommunicabilité: Castel restera pour toujours dans son tunnel, coupé du monde et ne trouvera jamais cette ‘âme semblable’ qu’il croyait avoir trouvé dans Maria, et que seul un ‘mur de verre’  séparait de lui. Le livre fonctionne ainsi comme une mise en abîme de cette métaphore de Castel: en pénétrant dans le livre, le lecteur pénètre aussi dans le tunnel intime de Castel, et découvre ses obsessions, ses jalousies morbides, sa misogynie et misanthopie. L’oeuvre d’art est ainsi présentée tacitement comme le seul remède contre l’incommunicabilité – mais, dans le cas de Castel, l’écriture ne vient qu’après que l’histoire fut terminée et que la violence ait fait son oeuvre destructrice.

Il y aurait tellement d’autres choses à dire (la relation de doubles entre Castel et Hunter, le dernier mot du roman (‘hermétiques’), la perte du principe de réalité dans le roman, le lien entre ce livre et les deux romans suivants, et bien évidemment le motif de la vue (l’aveugle Allende et la myope Mimi)) que l’on ne pourrait jamais s’arrêter de gloser sur ce monument de la littérature argentine  et mondiale. Le tunnel est décidément une lecture essentielle, tout comme les deux autres romans de Sabato, Héros et tombes et L’ange des ténèbres, dont je traiterai dans deux prochains articles.