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Glamour, sexe & nihilisme: les chambres impériales de Bret Easton Ellis

juin 24, 2010 Laisser un commentaire

On l’attendait depuis longtemps. Imperial Bedrooms est le dernier roman en date de Bret Easton Ellis, dont la précédente parution datait de 2005 (Lunar Park – qui, je pense, est son meilleur livre à ce jour). On attendait Imperial Bedrooms pour plusieurs raisons; tout d’abord, parce qu’un livre d’Ellis fait généralement parler de lui, c’est un évènement littéraire (on ne peut remettre en cause la place majeure qu’Ellis occupe dans le panthéon littéraire américain et international), et également parce que Imperial Bedrooms est la suite de son tout premier livre (-culte), Less than Zero (Moins que zéro, 1985). Que sont devenus les jeunes adultes décadents et drogués (« cock-snorting zombies » Lunar Park) vingt-cinq ans après l’action du premier récit? Je vous le donne en mille: des quadragénaires décadents et drogués. Après tout, on est dans un roman d’Ellis – glamour, sexe et nihilisme y font généralement bon ménage (à trois).

Ellis a plusieurs idées narratives, l’une qu’il abandonne, l’autre qu’il continue. (Le lecteur avisé s’apercevra ici que j’aurais préféré qu’Ellis fasse un choix différent, mais c’est ainsi.)

Bret Easton Ellis

Imperial Bedrooms est le récit de la damnation de Clay Easton qui s’en tire assez bien à la fin de Less Than Zero, partant pour Camden, petite université spécialisée dans les arts, et accessoirement laissant derrière lui son ex-copine, Blair, et Julian, son ami qui s’est mis à se prostituer afin de financer son addiction à la cocaïne. Ellis a la très bonne idée de faire commencer le roman en jouant sur le lien entre Imperial Bedrooms et Less than Zero: Clay, le narrateur, nous avoue tout: l’auteur qui a écrit Less than Zero s’est servi de faits réels mais les a déformés par jalousie. C’était une grande idée narrative, en parfaite continuité avec le jeu métalittéraire initité dans Lunar Park. Malheureusement, Ellis laisse tomber l’idée une fois sur le papier dans les premières pages et passe à autre chose.

Clay, aujourd’hui scénariste et producteur pour Hollywood revient à Los Angeles et revoit ses (anciens) amis, et plonge dans un monde crépusculaire, emplis d’ombres (Rip est devenu l’ombre de lui-même, défiguré par la chirurgie plastique) et où la seule lumière blanche qui y perdure rappelle soit la lame de l’arme blanche, soit la poudre d’ange… La structure du livre va suivre plus ou moins fidèlement la structure de Less Than Zero, y compris dans les moments ‘chocs’ qui avaient apporté une odeur de soufre au premier roman (les snuff movies: pp. 143,4; 164). Ellis veut nous faire prendre conscience de l’Eternel Retour du même dans le fait que les mêmes évènements (ou presque) continuent à avoir lieu et que les personnages sont enfermés pour toujours dans un Enfer doré, quelque part, là-haut, dans les hauteurs de la Cité des Anges.

Clay, de retour à L.A. pour le casting de son dernier film, The Listeners, rencontre une jeune femme, Rain, qui souhaite être actrice (sans avoir aucun talent). En échange de faveurs sexuelles, Clay lui promet de lui trouver un rôle (mineur) dans son prochain film, sans savoir qu’il pénètre dans un engrenage meurtrier. Une Jeep bleue le suit dans ses déplacements, sa chambre d’hôtel est ‘visitée’ pendant son absence, plus rien ni personne ne semble digne de confiance – Clay initie son dernier voyage, celui qui le mènera aux confins de l’horreur et de la nuit la plus obscure qui soit: celle de l’âme.

Le narrateur n’est pas un personnage très aimable, l’identification du lecteur est difficile, certains passages sont très violents (« graphic » comme diraient les américains), pourtant le roman est un véritable page-turner. Passage obligé pour les Ellisophiles, Imperial Bedrooms peut être lu tout seul, mais il est préférable de connaître Less Than Zero afin de comprendre les références internes aux deux oeuvres.

Imperial Bedrooms, Bret Easton Ellis, Knopf, 18€

Glo-Go: Imperial Bedrooms de Bret Easton Ellis

Bret Easton Ellis

Le prochain roman de Bret Easton Ellis, Imperial Bedrooms, sort le 15 juin aux Etats-Unis, et il est grand temps de créer un buzz sur la Toile afin de s’assurer des ventes de ce roman, déjà tiré à plus de 100 000 exemplaires par Knopf: c’est dire que cette sortie est considérée comme un évènement outre-atlantique (et soyons honnête, même ici!).

L’Empire dont il est question dans le roman est d’une certaine façon l’empire de l’édition américain. Jesse Katz, dans une interview avec Ellis pour LAmag.com, nous le dit:

« My point, I think, was that if the empire has, indeed, imploded—if the machinery that once discovered and promoted and sustained authors has collapsed in the shift to a digital culture—all the more reason for Bret to be pushing Imperial Bedrooms, to be ensuring that his brand, his identity as a storyteller, survives. Every writer today is having to figure that out.

“Correct,” [B.E. Ellis] says. »

Si cet Empire qui auparavant assurait la promotion de ses poulains-écrivains a implosé, la promotion doit se faire (il faut vendre l’objet-livre) par d’autres moyens, et utiliser cette « culture digitale », équivalent virtuel des Barbares qui ont mis l’Empire à genoux, à ses propres fins. Tout n’est pas simplement affaire de survie, comme le laisse entendre Katz. La Toile est  le lieu par excellence du buzz, de la rumeur-éclair, de la dés/information mondialisée, bref du Glo-go: global gossip. Ellis avait déjà utilisé le Glo-go lors de la promotion de son précédent livre, Lunar Park (qui est, je pense, le meilleur de ses livres à ce jour): on pouvait trouver sur le Net le site de l’ex-femme d’Ellis, Jayne Dennis, et y voir des photos d’elle avec Ellis, une liste des films dans lesquels elle a tourné, etc. Le seul problème, c’est que tout était faux: Jayne Dennis n’a jamais existé sauf dans le roman d’Ellis. Extraordinaire manipulation du réel, le site jouait avec le flou réel/ fiction du roman lui-même, et permettait de prolonger après la lecture du livre l’univers que l’auteur avait créé.

Le Glo-go est utilisé à pleine puissance pour Imperial Bedrooms: le site LA Magazine nous fournit en effet une interview de Bret Easton Ellis, mais aussi une carte des endroits chroniqués dans le roman, et surtout une interview exclusive du personnage principal,

Clay Easton, selon LAMag.com

Clay Easton, narrateur de Imperial Bedrooms mais aussi de Less Than Zero, le premier roman (culte) d’Ellis. Clay Easton nous parle ainsi de ses endroits préférés dans la Ville des Anges, de façon très décalée et humoristique: « Cinerama Dome: the honeycomb dome ceiling can be more interesting than most movies; W Hotels Los Angeles, Westwood: Sex. It’s where I made a lot of my “casting decisions” », …etc. L’effacement de la différence réel/ imaginaire, ou plutôt l’invasion de l’imaginaire dans la réalité est depuis Lunar Park un thème majeur de Bret Easton Ellis, et il prend une autre dimension grâce à l’avènement des ‘Barbares’ digitaux – l’Empire n’a qu’à bien se tenir, Bret strikes back: malgré l’effondrement de l’industrie classique, Ellis continue à sortir son épingle du jeu, et diversifie ses talents: il vient en effet de terminer le scénario de The Golden Suicides, film qui sera réalisé par Gus Van Sant, et portera sur le suicide commun du couple d’artistes Theresa Duncan et Jeremy Blake. Où s’arrêtera-t-il?

Bret Easton Ellis, Imperial Bedrooms, disponible le 15 juin 2010